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L’Anthropologie cognitive : À la croisée de la culture et de la cognition

L’anthropologie cognitive, en tant que discipline hybride, intégrée aux sciences cognitives, aux côtés de la linguistique, de la psychologie, de la philosophie, des neurosciences, de l’informatique, a évolué d’un statut de science « de frontière » à une reconnaissance en tant que domaine autonome, bien que son positionnement soit parfois flou, oscillant entre les sciences sociales et les sciences cognitives. Cette discipline se distingue par son objectif d’étudier scientifiquement l’impact réciproque de la culture et de la cognition. Contrairement aux approches interprétatives traditionnelles en anthropologie, elle cherche à établir des explications causales qui mettent en lumière la manière dont les structures cognitives sont influencées par la diversité culturelle. En documentant ce que la culture fait à la cognition, l’anthropologie cognitive occupe une place ambiguë mais essentielle, car elle tente d’apporter une compréhension scientifique et rigoureuse des liens complexes entre la culture et les processus mentaux humains.

Selon le linguiste américain Noam Chomsky, le langage est un miroir de l’esprit, et ses structures reflètent celles, cachées, de ce dernier. Un discours équilibré est l’expression externe de processus psychiques qui se déroulent dans un cerveau intégré, où les deux hémisphères ne luttent pas pour la suprématie, grâce à un fonctionnement holistique.

La vision de Noam Chomsky est similaire aux tendances de la physique moderne et s’inscrit dans une lignée de pensée promue par Kurt Gödel, un Américain d’origine tchèque, sous le nom de « théorie de l’incomplétude », l’une des découvertes les plus révolutionnaires en logique, rendue publique seulement dans les années 1970, vers la fin de la vie de Gödel. La nouvelle physique a introduit la propriété de « non-localisation » quantique, signifiant que des particules situées à des distances macroscopiques les unes des autres peuvent interagir de manière étrange, comme si elles étaient interconnectées, bien que la nature de cette connexion reste inconnue. C’est comme s’il existait un « tout » coordonnant chaque particule de l’univers par des moyens inconnus. Bohr et Heisenberg ont développé cette idée, démontrant que les observations objectives sont impossibles, puisque l’observateur modifie l’état quantique du système observé par l’acte même d’observer. Sur cette base, on passe du concept de « système » à celui de « holon », qui est, dans un sens métaphorique, « un tout égoïste composé de parties altruistes et, en même temps, une partie altruiste d’un tout plus vaste. » [1] Tandis que le système ouvre la voie à une démarche analytique (de la multiplicité à l’unité), le holon privilégie une analyse synthétique.

L’esprit humain est un mécanisme complexe, capable de nouvelles expansions… ad infinitum. L’hémisphère droit est plus « sophistiqué » que le gauche, pouvant organiser des données aléatoires en structures cohérentes, comblant ainsi les lacunes existantes. Le sens est le « Saint Graal » des sciences cognitives (Ray Jackendoff). La capacité du cerveau à générer de nouveaux concepts (Robert Hoffman et Richard Honeck) et à produire de nouveaux sens, même pour l’absurde, grâce à un contexte approprié, aux interférences et à la métaphore, est propre à l’hémisphère droit. Robin Lakoff, dissidente dans le courant chomskyen, estime que, si le langage est véritablement un miroir de l’esprit, il devrait refléter non seulement les algorithmes de la syntaxe, mais l’esprit dans son ensemble, « l’ensemble complet des règles selon lesquelles l’être humain donne forme et sens à son univers, et sans lesquelles aucun n’existerait. » [2]

L’approche promue par Noam Chomsky en linguistique (aujourd’hui, également considéré comme philosophe du langage) rejoint celle de la physique moderne, où les aspects du monde visible commencent à être expliqués par des processus invisibles, de niveau subatomique. Ainsi, l’existence d’une base mentale intégrée dans le cerveau de chaque locuteur (compétence) peut être déduite de ses manifestations externes: la parole (performance). La syntaxe serait la manifestation externe d’une grammaire cachée, mentale, non logique mais psychologique, instanciée dans le cerveau de chaque nouveau-né en fonction de la langue qu’il entend dans son environnement.

Les nouvelles informations proviennent des abstractions de l’esprit, et le sens possède une caractéristique combinatoire propre, résultant d’une collaboration équilibrée entre la syntaxe et la sémantique, car le langage, organisme vivant, doit évoluer. L’évolution du langage repose donc à la fois sur la syntaxe et la sémantique, sinon on atteindrait une ambiguïté excessive (chaos), sans l’apport structurant de la syntaxe. Un discours équilibré suppose un fonctionnement intégré des deux hémisphères cérébraux, droit et gauche, avec un transfert d’informations par le corps calleux, qui les relie comme un pont grâce à ses fibres nerveuses.

L’approche de l’activité humaine en tant qu’objet d’étude de la psychologie a permis de considérer le psychisme comme un système en organisation constante, doté d’autorégulation. Il est ainsi devenu possible de passer à une nouvelle approche de l’objet d’étude de la psychologie, à savoir l’être humain concret. Conformément à cette perspective, les processus, fonctions et capacités psychiques de l’homme n’existent pas en eux-mêmes, indépendamment de l’individu concret, de même que l’activité est exercée et contrôlée par une personne dotée d’une identité psychophysiologique. Par conséquent, on commence à réaliser que ce ne sont pas tant les fonctions psychiques qui doivent constituer l’objet de recherche de la psychologie, mais bien les fonctions psychiques de l’homme concret, et non l’activité de manière impersonnelle, mais l’activité personnelle et personnalisée de l’individu. Dès lors, l’orientation vers l’homme et vers l’humain devient une tendance forte et féconde en psychologie, donnant naissance à la « psychologie humaniste », considérée par Abraham H. Maslow, l’un de ses fondateurs, comme « la troisième force en psychologie. »

Les humanistes apportent une nouvelle perspective d’interprétation de l’objet de la psychologie, l’homme et sa problématique humaine devenant le centre des approches théoriques et pratiques, de la vie quotidienne aux grandes questions de l’humanité. D’un point de vue méthodologique, le grand avantage de l’approche humaniste réside dans le passage de la recherche manipulatrice à la recherche coparticipative, l’homme n’étant plus un simple objet d’étude scientifique. Des techniques quantitatives, objectives, basées sur la prédiction, l’explication, la loi et la généralisation empirique, on est passé aux techniques interprétatives, qualitatives, visant à comprendre les actions et comportements de l’individu humain, en relation avec lui-même et avec son environnement socio-culturel. Avec ce changement méthodologique, un nouveau but de la psychologie est apparu : celui de la croissance personnelle, du développement du potentiel humain et de la maturation psychosociale.

Les sciences cognitives utilisent comme outil fondamental la méthode de traitement de l’information, empruntée à l’informatique. Ce domaine se situe à la frontière entre les sciences humaines (ex. psychologie, sociologie, anthropologie, linguistique) et les sciences exactes (ex. informatique), intégrant également la contribution des arts (design graphique, théâtre, ballet, cinéma). Par conséquent, la recherche et la pratique dans ce domaine impliquent la collaboration entre spécialistes de différents domaines et le travail en équipe multidisciplinaire. Ainsi, la psychologie cognitive et les sciences cognitives contribuent à la compréhension d’aspects psychologiques tels que les perceptions, les représentations de connaissances, la mémoire, la résolution de problèmes. L’anthropologie et la sociologie, en collaboration avec certaines orientations de la psychologie (comme la théorie de l’activité, la psychologie culturelle), aident à comprendre le contexte plus large de l’interaction sous divers aspects. La branche traitant des aspects psychologiques et cognitifs de cette interaction est l’ergonomie cognitive. (Van der Veer, 1990)

Les sciences ont fondé leur discours et leurs démarches de recherche sur l’opposition entre la connaissance commune et la connaissance scientifique. Pour obtenir des résultats scientifiquement valides, il est nécessaire non seulement de s’éloigner du sens commun, de la connaissance commune au niveau de la vie quotidienne, mais également de créer une « rupture épistémologique » entre les deux types de connaissances.

Le sens commun est considéré comme fonctionnant en deux étapes :

  • une première étape de connaissance spontanée où l’on se fait une idée, une opinion sur les événements en question ; c’est une image imprécise, parfois difficile à traduire en discours rationnel ; par exemple, on dit de certaines personnes qu’elles ont une intuition exceptionnelle liée à un fait particulier, intuition qu’elles ne peuvent cependant pas expliquer en termes discursifs et causaux.
  • une deuxième étape d’extrapolation des explications des situations passées aux présentes ou futures, plutôt une recherche des sens possibles de l’événement actuel dans les explications et informations des expériences antérieures similaires.

Petru Iluț propose une présentation extrêmement pertinente et valide des valeurs et des limites de la connaissance commune dans son ouvrage Approche qualitative du socio-humain. Les facteurs influençant la connaissance commune :

  • l’enculturation – transmission des informations culturelles et des techniques de civilisation et de maîtrise de l’environnement d’une génération à l’autre ; dans ce cas, le langage joue un rôle déterminant en tant que matrice interne de transmission, structuration, développement et internalisation des informations pertinentes de la communauté concernée ;
  • la socialisation – transmission des normes de valeur et morales qui guident l’existence de la communauté en question et formation des personnalités individuelles par rapport à ces normes ; il existe une socialisation primaire qui se réalise au sein de la famille, où les parents transmettent les normes morales fondamentales aux enfants, les éduquant en conformité avec les valeurs de la société à laquelle ils appartiennent, et une socialisation secondaire qui se fait dans des institutions spécialisées (enseignement, religion, militaire, rééducation, etc.)

L’expérience directe des gens avec l’environnement, avec leurs pairs et avec eux-mêmes est fortement influencée par ces facteurs et elle est limitée par la nature même de la connaissance commune. Le sens commun n’est pas quelque chose d’homogène, d’amorphe ou d’indifférencié. Au contraire, il est fortement stratifié du point de vue du potentiel cognitif, allant des constatations simples, clichés et préjugés, aux observations et raisonnements de grande finesse et profondeur, jusqu’à des explications et interprétations nuancées. Selon l’intelligence et le niveau de culture, la multitude et la variété des expériences socioculturelles, des individus non-spécialistes de l’étude socio-humaine ont différents degrés de compréhension de celui-ci. La subjectivité (clichés de pensée, intérêts, aspirations, valeurs) peut déformer dès le départ le contenu informationnel par une perception incorrecte de la réalité. Délibérément ou non, les gens filtrent de manière sélective les informations concordantes avec leurs opinions ou croyances et évitent celles qui sont dissonantes. Même si les représentations (perceptions) obtenues au niveau du sens commun sont correctes et pertinentes, elles sont toujours particulières, le résultat d’un contexte concret. La conscience commune peut facilement tomber dans le piège d’enregistrer uniquement des liens apparents (et souvent faux) entre dimensions, facteurs, variables.

Mécanismes et effets de distorsion spécifiques de la conscience commune :

  • L’effet de faux consensus, c’est-à-dire que les individus ont tendance à se considérer, en ce qui concerne leurs actions, leurs jugements et leur comportement général, beaucoup plus semblables à leurs pairs qu’ils ne le sont en réalité.
  • L’effet de cadrage (frame) ou de cadre de référence, consistant dans le fait que nos préjugés et appréciations vis-à-vis de différents objets, personnes, institutions et problèmes sociaux sont largement influencés par la manière dont l’information est présentée à leur sujet, par le cadre dans lequel elle apparaît.

La complexité promue par Edgar Morin [3] est de type dialogique (ordre/désordre/organisation) et translogique, échappant au holisme ainsi qu’au réductionnisme, en vertu du principe d’Unitas multiplex, qui permet de passer d’une complexité à quelque chose de beaucoup plus complexe (hypercomplexité). La complexité est à la fois antagoniste et complémentaire, ce qui amène Morin à la considérer davantage comme un défi que comme une réponse, car elle se situe « au cœur de la relation entre simple et complexe. »

La perspective transdisciplinaire défendue par Edgar Morin se retrouve chez d’autres auteurs (voir S. Marcus, 2005, 2006, 2007) et découle de la « rencontre des extrêmes » (S. Marcus, 2005), dont la mise en relation est rendue possible par la médiation ; sans quoi, la transdisciplinarité ne serait qu’indisciplinaire.

La médiation se développe en réponse naturelle aux problématiques du monde contemporain. En tant qu’impératif social majeur, la médiation fonde la dimension individuelle et collective de notre citoyenneté (Bernard Lamizet, 1999). Annie Cardinet présente dans son livre Écoles et médiations (2000) les liens possibles entre les différentes formes et pratiques de la médiation, soulignant son importance dans l’éducation et, en particulier, dans la pédagogie. Elle réussit à dépasser l’apparente dichotomie de la médiation, qui divise et (re)connecte simultanément. Selon l’autrice, la médiation interpersonnelle ne peut être validée que par le changement qu’elle provoque chez chacune des parties en conflit, qui parviennent ainsi à donner une nouvelle dimension à la source du conflit et à retrouver leur équilibre.

La scolarité est le premier espace de médiation, une zone de passage entre la famille et la société, entre le moi et l’autre, entre la vision propre du monde et celle des autres. L’espace « intermédiaire » de réflexion de la médiation répond au besoin de sécurité de l’enfant. En fréquentant l’école, l’enfant traverse sa première grande épreuve sociale, car il s’éloigne progressivement du modèle parental pour être modelé par l’école, une institution à fort rôle formateur.

Boris Cyrulnik [4] met en avant l’idée que la base culturelle se construit dès l’enfance, car avant son premier jour d’école, l’enfant a déjà adopté un style affectif et intégré les préjugés de ses parents. Les enfants qui, dans leur famille, apprennent les codes sociaux et se forment des attaches sécurisantes bénéficieront de cette éducation tout au long de leur vie. L’école est un facteur de résilience lorsque la famille et la culture lui en donnent le pouvoir.

Le terme de « résilience » est introduit par Boris Cyrulnik pour définir la capacité humaine à surmonter les traumatismes psychiques et les blessures émotionnelles les plus graves. Le lien et le sens rendent possible la résilience.

L’indicateur principal d’un changement culturel est l’évolution de la conception de l’enfant. À partir de la Renaissance, l’importance de l’affectivité dans le développement de l’enfant est découverte, entraînant des changements culturels. Les avis étaient partagés. Alors que certains philosophes soutenaient l’importance de l’affectivité, certains médecins la rejetaient, estimant qu’elle dégradait l’homme.

La première enfance est l’âge des liens, car c’est durant cette période que l’enfant établit des connexions significatives avec les membres de sa famille. Si la violence provient d’une personne avec qui un lien affectif a été établi, la souffrance est double, car l’enfant souffre également à cause de la représentation qu’il s’en fait. L’enfant ne se souviendra toute sa vie que des faits qui se sont intégrés dans son histoire personnelle parce qu’ils avaient un sens. Si, dès l’enfance, l’enfant a fait l’expérience de l’amour et s’est senti accepté tel qu’il est, il développe une image de soi positive, prenant conscience que son être a une valeur qui mérite d’être respectée.

Dans le cas des enfants orphelins, la présence autour d’eux de tuteurs de résilience aimants et responsables peut contribuer à relancer leur développement et à rattraper leur retard, d’autant plus s’ils ont l’opportunité de rencontrer également des tuteurs verbaux et culturels pour déclencher le processus de résilience, jouant un rôle dans la construction du sens et la réalisation du lien avec le transcendant. La prise de conscience de la possibilité de se projeter dans l’avenir et de conquérir, grâce à l’instruction et à l’éducation, un monde différent de celui auquel ils sont actuellement confrontés contribue au déclenchement du processus de résilience et à l’apprentissage de l’empathie, un facteur important pour devenir, à leur tour, résilients, c’est-à-dire des personnes capables de donner. La possibilité de donner permet aux enfants de renforcer leur estime de soi, de se sentir plus forts, meilleurs, plus généreux, et, en établissant une relation affective, de combler leurs besoins de sécurité, d’aimer et d’être aimés.

[1] Solomon Marcus, 1985, Timpul, ed. Albatros, Bucureşti, p.151

[2] Cuţitaru Laura Carmen, articolul „Dilemele semnificaţiei”, în România literară, nr. 18/ 8 mai 2009.

[3] Edgar Morin (2005), Introduction à la pensée complexe, éditions du Seuil, Paris

[4] Boris Cyrulnik (2005), Murmurul fantomelor, ed. Curtea veche, Bucuresti

Bibliografie:

Cardinet Annie, Ecole et médiations, éditions Erès, France, 2000

Cyrulnik Boris, Murmurul fantomelor, ed. Curtea Veche, Bucureşti, 2005

Ilut Petru, Abordarea calitativă a socioumanului, ed. Polirom, Iaşi, 1998

Lamizet Bernard, La médiation culturelle, l’Harmattan, Paris, 1999

Malim Tony, Procese cognitive, ed. Tehnică, Bucureşti, 1999

Meirieu Philippe, Apprendre… oui, mais comment, éditeur ESF, Paris.1988

Moreau André, Psychothérapie: Méthodes et techniques, éditeur Nauwelaerts, 2008 (livre traduit en roumain par Virginia-Smărăndița Brăescu, Psihoterapie. Metode şi tehnici, ed. Trei, Bucureşti)

Morin Edgar (1990), Introduction à la pensée complexe, ESF éditeur, Paris , 1990

Solomon Marcus, Timpul, ed. Albatros, Bucureşti, p.151, 1985

Solomon Marcus, Paradigme universale, ed. Paralela 45, Piteşti, 2005

Solomon Marcus, Intâlnirea extremelor, ed. Paralela 45, Piteşti, 2005

Autrice de l’article: Virginia Brăescu

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Autor:

Teacher, Trainer, Speaker, Project manager, Business Owner

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