En Roumanie, en tant que formatrice dans le cadre du programme national EduShift – Pédagogie numérique pour les enseignants du préuniversitaire, financé par PNNR – le Plan National de Redressement et Résilience, qui vise à former au moins 10 000 enseignants du primaire et du secondaire aux compétences numériques et aux méthodes pédagogiques innovantes, j’encadre de nombreux collègues dans cette transition, à travers la création de ressources éducatives ouvertes, l’accompagnement méthodologique pour l’application des compétences numériques en salle de classe, et la diffusion de bonnes pratiques dans les communautés d’enseignants. J’accompagne des équipes diverses à scénariser des parcours mixtes. Partout, la même découverte : la réussite dépend moins du catalogue d’applications que de la qualité des passages – du voir au faire, du faire au dire, du dire au vouloir-refaire. Ce travail de formation, mené au plus près du terrain, montre qu’il est possible d’innover tout en s’appuyant sur les fondations de la tradition. Les enseignants formés ne jettent pas aux orties les manuels ou les méthodes classiques. Ils apprennent à y intégrer des outils numériques pour rendre les cours plus interactifs et motivants.
À l’école, nous cherchons chaque jour l’équilibre entre quelque chose d’ancien (des méthodes éprouvées) et quelque chose de nouveau (des stratégies interactives, des outils numériques, l’IA – l’intelligence artificielle, des échanges interculturels). Lors d’une classe mixte, la matière ne s’enseigne pas seulement, mais elle se vit. Entre un passé qui a fait ses preuves et un avenir qui frappe à la porte, la classe mixte s’invente un chemin. Au centre, une idée simple, héritée de John Dewey : on apprend en agissant, on comprend en réfléchissant, on grandit ensemble. Autour, un écosystème numérique – plateformes, ressources authentiques en ligne, IA générative qui, selon Philippe Meirieu, n’ajoute pas une couche de technologie, mais dessine un milieu pour que l’expérience prenne sens.
La théorie de John Dewey offre un cadre cohérent pour cette articulation : apprentissage par l’expérience, réflexion consciente, collaboration et pertinence pour la vie réelle. Appliquée à l’enseignement du FLE (français langue étrangère), cette vision transforme la classe d’un espace de transmission en un laboratoire d’exploration où les élèves vivent la langue, au lieu de seulement l’étudier.
Apprendre par l’expérience : du simple exercice à la mise en situation
John Dewey propose l’approche learning by doing : on apprend mieux quand on fait quelque chose avec ce que l’on apprend. En FLE, cela se traduit par des situations authentiques: jeux de rôle (au magasin, à la gare, au restaurant), mini-projets (guide touristique d’une ville francophone), micro-enquêtes (courts entretiens en français) ou échanges virtuels avec des pairs francophones. Quand le contenu sort du manuel pour entrer dans la vie de l’élève, la motivation augmente et les acquis deviennent fonctionnels.
La tradition reste utile (dictée, fixation), mais elle prend sens lorsqu’elle est ancrée dans l’action : la prononciation se travaille en dialogue, le lexique se consolide dans une tâche de projet, la grammaire se déduit de textes authentiques puis se vérifie dans des productions personnelles (messages, affiches, clips).
Pratique réflexive et pensée critique: on n’apprend pas de l’expérience, mais de la réflexion sur l’expérience
La réflexion transforme l’activité en apprentissage conscient. Pour les élèves, de courts journaux de fin de séance (Qu’ai-je réussi aujourd’hui ? Qu’est-ce qui reste flou ? Comment réutiliserai-je demain ce que j’ai appris ? ) développent la métacognition et l’autorégulation. Pour les enseignants, quelques minutes d’auto-analyse après la leçon orientent les ajustements : Qu’est-ce qui a fonctionné ? Que modifier la prochaine fois ? Qu’est-ce qui soutient réellement la prise de parole en français ?
L’intégration de questions de coaching rend la réflexion plus concrète:
- Pour les élèves: Quel petit pas sûr ai-je fait aujourd’hui en français ? Où ai-je osé prendre un risque ? Quelle stratégie vais-je tester la prochaine fois ?
- Pour les enseignants : Qu’ai-je fait en facilitateur, et pas seulement en évaluateur ? Comment ai-je créé un contexte où les élèves avaient besoin d’utiliser la langue ?
Apprentissage collaboratif : le sens se construit ensemble
John Dewey voit l’apprentissage comme un processus social. En classe mixte, les projets d’équipe (présentations multimédias, podcasts, journaux scolaires, albums de classe, etc.), les débats (écologie, technologies, culture) et les jeux coopératifs accroissent l’engagement et clarifient les idées. Les élèves apprennent à négocier le sens, à donner du feedback, à assumer des rôles. La collaboration ne remplace pas l’effort individuel : elle le met en circulation, chaque contribution devenant ressource pour les autres.
Connexion à la vie réelle : à quoi cela me sert-il ?
La pertinence n’est pas un supplément, c’est la condition de la motivation. Les matériaux authentiques (articles, menus, horaires, publicités, cartes), les visites virtuelles (musées, villes et villages francophones), l’invitation (en ligne) de locuteurs natifs font de la classe une fenêtre ouverte sur le monde francophone. Les projets interdisciplinaires (géographie et FLE, histoire et FLE, éducation civique et FLE) éclairent l’utilité de la langue : communiquer pour chercher, expliquer, proposer, convaincre.
L’enseignant ne renonce pas à la rigueur : il la relance dans des formats actifs. Il crée des contextes, formule des questions ouvertes, encourage l’exploration et l’auto-correction, orchestre le dialogue. Tradition (clarté, structure, entraînement) et innovation (interactivité, numérique, IA, projets, interculturel) ne s’excluent pas : elles se potentialisent. La clé est le tact pédagogique : choisir la bonne méthode pour le bon objectif, avec ce groupe concret d’élèves.
Concevoir l’architecture d’un cours mixte : un rythme qui porte le sens et humanise le numérique
Une activité mixte (blended learning) n’est pas une juxtaposition de ressources : c’est un rythme. À la manière de John Dewey, on pense le parcours comme une expérience continue qui alterne mise en action – mise en forme – partage – réinvestissement. Micro-différenciation sans surcharge: Le numérique permet d’ouvrir des portes latérales aux mêmes objectifs : variantes de support (article facile / infographie / audio sous-titré), variantes de tâche (écrire un tweet, enregistrer un vocal, produire un visuel légendé), variantes d’étayage (lexique minimal, banque d’expressions). La différenciation reste invisible en surface : la classe avance ensemble, chacun par son sentier.
Dans une classe mixte, le numérique n’ajoute pas une couche : il dessine le milieu où la pédagogie de John Dewey respire. L’expérience devient rythme, la réflexion devient rituel, la coopération devient habitude, la pertinence devient évidence. Ce qui compte n’est pas la quantité d’outils, mais la qualité des passages : du voir au faire, du faire au dire, du dire au vouloir-refaire. Pas à pas, les élèves ne « consomment » pas le contenu, mais ils l’habitent.
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